La formule « Take the Soup » durant la Grande Famine irlandaise

La formule « Take the Soup » durant la Grande Famine irlandaise

Une soupe populaire à l'époque du slogan "Take the soup" en Irlande - Domaine public

Durant la Grande Famine, les catholiques irlandais les plus démunis ont été confrontés à un choix cruel : se convertir au protestantisme pour obtenir un repas ou affronter la mort par la faim.

La Grande Famine de 1845-1848 demeure un chapitre sombre et indélébile de l’histoire irlandaise. La destruction de la culture de pomme de terre par le mildiou a anéanti la principale source d’alimentation, plongeant l’Irlande dans une famine catastrophique.

En réponse, des « soup kitchens » ont été créées pour soulager cette crise humanitaire.

Toutefois, l’aide alimentaire s’est avérée complexe et source de controverse, notamment à travers le sinistre « take the soup ». Cette expression masquait une réalité choquante : des catholiques irlandais forcés à renoncer à leur foi en échange d’un repas.

Ce slogan, gravé dans la mémoire collective, possède encore aujourd’hui une triste résonance dans la société irlandaise.

Les Soup Kitchens en Irlande durant la Grande Famine

Origines

Une Soup Kitchen de Cork - Domaine public

Une Soup Kitchen de Cork – Domaine public

Les soup kitchens irlandaises (appelées soupes populaires en français) ont été établies dès les premières années de la Grande Famine en Irlande.

Fondées par des organisations caritatives, des groupes religieux et, dans une certaine mesure, par le gouvernement britannique, leur mission consistait à offrir de la nourriture aux plus démunis.

Reposant sur le principe du bénévolat, ces soup kitchens représentaient souvent une unique chance de survie auprès des populations affamées et étaient accueillie avec reconnaissance pour les irlandais…

Malheureusement, les repas étaient souvent simples et peu nutritifs… mais les plus affamés s’en contentaient.

Il s’agissait le plus souvent de soupes rudimentaires, à base de denrées de mauvaises qualité. On mélangeait alors des légumes abîmés ou gâtés : oignons, chou, navet, eau et parfois un peu de lait constituaient les ingrédients de base.

Fades et de peu d’intérêt nutritionnel, ces soupes étaient souvent diluées dans des litres l’eau pour pouvoir nourrir le plus grand nombre dans un contexte de pénurie alimentaire sans précédent.

Lorsque c’était possible, du pain de maïs (un pain typique des Amériques) était proposé en accompagnement, et permettait d’avoir un peu plus l’impression d’avoir le ventre plein.

La viande quand à elle était rare et chère, donc peu utilisée dans les soupes populaires. Quand elle était disponible, elle était utilisée en très petites quantités pour donner du goût.

Quoiqu’il en soit, ces repas constituaient le dernier rempart face à la mort pour de nombreux irlandais. Cette aide précieuse, permettait à ces derniers de survivre et de gagner quelques jours de plus face à l’adversité.

Ces organisations, issues de toute confession religieuse et de tout parti politique, étaient alors la preuve de toute la bienveillance et de la force solidaire de l’époque… jusqu’à ce que cela se gâte au fil des mois avec le slogan « Take the Soup ».

La Formule « Take the Soup »

Des tonneaux de soupe prêts à être distribués dans le cadre de la campagne "Take the soup" - Domaine public

Des tonneaux de soupe prêts à être distribués dans le cadre de la campagne « Take the soup » – Domaine public

Malheureusement, la bienveillance initiale de certains organismes a finit par sombrer dans l’opportunisme.

Certaines soupes populaires de l’époque étaient pilotées par le gouvernement britannique et des institutions religieuses protestantes.

Au fil des mois, ces derniers ont vus là une opportunité : pourquoi ne pas proposer ces repas aux irlandais catholiques sous conditions de se convertir au protestantisme ?

Très vite, la formule « Take the soup » (« Prend la soupe » en français) s’est vue placardée un peu partout en Irlande sur des affiches.

L’information circula dans la campagne irlandaise, là où la Famine touchait le plus durement la population… notamment à Dingle et sur Achill Island.

Mais le slogan fit rapidement scandale et provoqua l’indignation : comment les britanniques pouvaient-ils demander aux irlandais d’abandonner leur foi au profit de leur survie ? Comment pouvaient-ils leur demander de choisir entre l’enfer (en conséquence de leur changement de confession religieuse) ou la survie (grâce aux repas distribués par les kitchens soup ?) ?

Pourquoi de tels actes en un temps de misère si dramatique ?

Une stratégie d’assimilation des irlandais catholiques à la société britannique

Une Soup Kitchen de Dublin - Domaine public

Une Soup Kitchen de Dublin – Domaine public

En vérité, derrière ce slogan, se cachait une stratégie des anglais particulièrement sombre : celle d’étendre un peu plus leur pouvoir sur la société irlandaise… en profitant de la vulnérabilité et de la misère ambiante.

Car pour rappel, à cette époque, l’Irlande était majoritairement catholique… alors que l’Angleterre, qui régnait sur l’île depuis le XVIème siècle, vivait dans la religion protestante  et tentait d’imposer coûte que coûte sa foi, ses lois et sa politique à une île d’Émeraude souvent contestataire.

A cette époque, le gouvernement de Grande-Bretagne (dirigé par Lord John Russell) voyait même le catholicisme irlandais comme une menace potentielle à la stabilité et à l’unité de l’empire.

Aussi, la conversion des Irlandais au protestantisme était perçue par certains comme un moyen de renforcer l’unité religieuse et politique, tout en accélérant l’assimilation des irlandais à l’empire britannique.

Voilà pourquoi les soupes populaires constituaient une solution toute trouvée : les anglais espéraient convertir plus largement les irlandais à la foi protestante… tout en passant pour des sauveurs.

Des protestants persuadés d’agir pour le bien des irlandais

Toutefois, réduire ce travail de conversion à un de seuls intérêts coloniaux serait caricatural.

Parmi les évangélistes protestants, nombreux furent ceux à agir sans calcul politique, avec le seul but d’aider et de secourir.

Pour eux, convertir les catholiques était vu comme un acte de bienfaisance spirituelle. Ils croyaient sincèrement que le protestantisme était le véritable chemin vers le salut et que convertir les catholiques était un moyen de les « sauver ».

Dans cette optique, fournir de la nourriture en échange de la conversion n’était pas perçu comme une coercition, mais plutôt comme une incitation à embrasser ce qu’ils considéraient comme la vraie foi.

De plus, certains prédicateurs protestants voyaient leur foi comme supérieure, tant sur le plan moral que social. Ils croyaient que le protestantisme favorisait des valeurs comme le travail, l’ordre et la discipline, et que convertir les catholiques aiderait à améliorer leur situation sociale et économique.

A cette époque, l’évangélisation était une pratique courante parmi les différentes branches du christianisme. Les groupes missionnaires protestants, en particulier, étaient souvent motivés par le désir de diffuser leur foi. La famine en Irlande était vue comme une opportunité pour ces missionnaires d’étendre leur influence religieuse.

Tel était le cas notamment du révérend Edward Nangle, un irlandais originaire du comté de Meath, qui a mené une mission d’évangélisation de plus de 18 ans sur l’île d’Achill Island. Il y aurait ainsi monté une véritable colonie protestante.

Impact de cette politique sur les irlandais

Une scène de la Grande Famine irlandaise - Domaine public

Une scène de la Grande Famine irlandaise – Domaine public

Il n’existe pas de chiffres précis ou de statistiques officielles sur le nombre exact d’Irlandais qui se sont convertis au protestantisme en échange de nourriture pendant la Grande Famine.

Néanmoins, on estime que plusieurs milliers d’irlandais catholiques auraient renoncés à leur foi en échange de cette soupe.

Appelés les « soupeurs » (soupers ou jumpers en anglais), ces convertis vivaient ensuite dans un climat d’opprobre populaire, et étaient autant pris en pitié que méprisés par les irlandais catholiques ayant tenus bon.

Toutefois, on estime que certains irlandais se seraient convertis au protestantisme seulement pour accéder à la soupe… sans toutefois renoncer à leur foi catholique. Véritable simulacre, des individus se seraient ainsi convertis temporairement, pour revenir à leur foi catholique une fois la famine passée. Un stratagème critiqué par certains… et qualifié d’ingénieux par d’autres.

Quand aux irlandais refusant catégoriquement ces repas mais restant dans la survie, il ne restait que peu d’options : le vol de nourriture, le travail forcé en échange d’une maigre pitance dans les maisons de travail, ou encore l’émigration vers des pays comme l’Amérique, l’Angleterre ou encore l’Australie.

On estime qu’ils furent plusieurs centaines de milliers à quitter l’Irlande pour tenter leur chance vers des contrées plus clémentes.

Impact de la formule « Take the soup » sur la société irlandaise actuelle

La formule « take the soup » est restée dans la mémoire collective irlandaise comme un symbole de l’oppression et de la manipulation britannique protestante pendant la Grande Famine.

Attachés à leur devoir de mémoire, les irlandais ne manquent pas de faire la grimace à la seule évocation du slogan. Il reste pour eux évocateur d’une période terrifiante qui a touché leurs familles, il y a de cela plusieurs génération.

Elle rappelle avec force les exactions des britanniques de l’époque, prêts à l’impensable pour étendre leur contrôle sur l’Irlande.

Elle illustre aussi le désespoir extrême auquel les gens étaient confrontés, ainsi que les choix douloureux imposés par des circonstances au-delà de leur contrôle.

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